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Analyses et forums

Une menteuse qui dit la vérité, par Henri Raczymow
LE MONDE | 15.07.04 | 15h20

Ainsi, elle a menti. Marie-Léonie a tout inventé. Ces racailles du RER D, désocialisées, démoralisées, capables de tout, y compris sans doute, comme les SA naguère, de tuer du juif sous les yeux indifférents des voyageurs...

Une histoire à dormir debout. Une invention des médias. Une invention juive, pourquoi pas ? Comme, selon les négationnistes, la Shoah elle-même. Ils veulent se proclamer encore et toujours des victimes.

Et dans quel but ? C'est clair : l'argent. Car le juif et l'argent, comme nous le dit l'histoire exemplaire de Marie-Léonie, forment un couple légendaire. Rien n'a changé à ce titre depuis le Moyen Age. Qu'on ne s'y trompe pas : nous sommes au Moyen Age... Et puis, on a pu lire dans les colonnes du Figaro daté du 13 juillet une très troublante interview d'une Mme X..., qui dit connaître Marie-Léonie depuis dix ans, donc depuis l'enfance.

A ses yeux, ce qui arrive aujourd'hui n'a rien d'étonnant : la jeune femme est sujette à la mythomanie. Rien d'étonnant à ce qu'elle invente pareille énormité.

Nous en sommes là. Ou plutôt nous en étions là. Et puis a surgi la question. Oui, elle a inventé. Mais pourquoi justement cette histoire-là ? Alors, là, c'est intéressant. Et pas seulement intéressant. Cette histoire inventée est vraie !

En fait, Marie n'a pas inventé cette histoire. On la lui a racontée. Elle est arrivée à un ami de ses amis et est venue à ses oreilles. Une agression antisémite dans un lieu public, avec injures et blessures, et hospitalisation. Mais, cette histoire-là, personne n'en a parlé. Elle n'a intéressé personne.

Pourquoi la version de Marie-Léonie, chimiquement pure, suscita-t-elle tant d'émoi ? Parce que l'agression dont elle prétendit être victime était en outre une violence sexiste. Mais va-t-on tenter, dira-t-on, de comprendre une réalité qui n'a jamais existé, telle la fameuse "dent d'or" dont nous parlait un philosophe des Lumières, une réalité qui n'a existé que dans l'esprit dérangé d'une jeune fille bien de notre temps ?

Justement. L'interview de Mme X..., dans Le Figaro, nous le dit. Marie-Léonie n'a pas inventé une histoire. Elle se l'est appropriée. Car cette histoire est vraie. Sauf que le protagoniste était banalement un homme.

Marie-Léonie n'est pas une mythomane. C'est une usurpatrice. Elle ment, mais elle ment vrai. Si j'étais un éditeur, je lui signerais aussitôt un contrat pour un roman.

Si j'étais sociologue ou politicien, je m'interrogerais sur les raisons pour lesquelles notre société médiatique et émotive a été presque déçue que cette histoire fût au final un mensonge. Et je me demanderais pourquoi cette déception masque en vérité un soulagement, un "lâche soulagement". Parce que, croyons-nous, nous en sommes quittes. Circulez, il n'y a pas d'histoires. Qu'on ne fasse pas d'histoire. Une invention, nous dit-on. Combien d'entre nous retiendront que l'histoire de Marie-Léonie était une histoire vraie ?

Henri Raczymow est écrivain.

 ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 16.07.04